La gestion des Urgences médicales en Haïti : Qu’en est-il ?

Le problème de la gestion des urgences médicales en Haïti a souvent été mis sur le tapis. Reflétant l’organisation bancale du système de santé en général, la mauvaise gestion des urgences a déjà occasionné la mort de nombreuses personnes (personnalités connues incluses). D’aucuns pensent même que le pays, vu la fréquence des accidents de la voie publique, les complications médicales chirurgicales qui en découlent, l’inexistence (ou presque) d’un système de soins préhospitaliers et l’inaccessibilité des soins, est incapable de faire face aux urgences médicales. Conscient de l’importance de la question, Village Santé s’est fait le devoir de rencontrer pour vous le Dr Jean-Philippe Lerbourg, urgentiste de formation.
VILLAGE SANTE : Tout d’abord, c’est quoi une urgence médicale ?
Jean-Philippe Lerbourg : Une urgence médicale est une situation médicale qui nécessite des soins urgents. Ces soins peuvent être immédiats ou différés dépendamment de la gravité du cas et selon le jugement du médecin qui le reçoit.
V.S : Qu’est-ce que la médecine d’urgence et quel médecin se charge des urgences médicales ?
JPL : La médecine d’urgence est la discipline de la pratique spécialisée de 3 ans qui s’intéresse à la prise en charge d’une grande diversité de maladies et de blessures aiguës dans tous les groupes d’âge. L’urgentologue est avant tout un clinicien qui utilise des habiletés hautement perfectionnées en raisonnement clinique pour soigner des patients ayant des problèmes aigus et souvent indifférenciés, fréquemment avant d’avoir reçu les renseignements cliniques ou diagnostics complets.
L’urgentologue utilise les méthodes appropriées pour établir les priorités, évaluer, intervenir, réanimer et prendre en charge subséquemment les patients jusqu’au moment du transfert.
V.S : Avons-nous une médecine d’urgence en Haïti?
JPL : Nous pratiquons depuis longtemps une certaine forme de médecine d’urgence dans nos hôpitaux. Cependant, et paradoxalement, nos premiers médecins formés en Haïti pour la médecine d’urgence sont actuellement à leur dernière année de formation à l’Hôpital Universitaire de Mirebalais qui est le seul centre en Haïti qui forme des médecins pour la médecine d’urgence.
Néanmoins, il y a en Haïti des institutions publiques et privées qui offrent des soins de médecine d’urgence par l’intermédiaire de médecins généralistes ou d’autres médecins de diverses spécialités entrainés dans la prise en charge de la médecine d’urgence.
V.S : D’où vient le problème ?
JPL : Comme beaucoup de problèmes dans notre système de santé, ce problème n’a jamais été abordé correctement. En Haïti, l’urgence du patient dépend plutôt de nos capacités en termes de services de santé et d’infrastructures que de l’état du patient réellement, car le service des urgences de par son côté pluridisciplinaire demande beaucoup d’infrastructures et de personnel. On procure les soins qui sont disponibles, mais pas ce que l’état du patient requiert. Donc, tant et aussi longtemps que ce système demeure dans l’état où il est, les services d’urgences resteront des services d’accueil et de dispatching.
V.S : Quels sont les défis actuels qui entravent la gestion des urgences médicales ?
JPL : Les défis sont énormes. Certaines institutions privées font des efforts pour être à la hauteur, mais il reste beaucoup de chemin à faire, car les services d’urgences sont budgétivores et le coût des soins n’est pas à la portée de la majorité de nos citoyens.
Pour les institutions publiques, cela restera un vœu car l’état haïtien ne dispose pas de ressources à cet effet. L’allocation accordée à la santé est insuffisante pour des soins de qualité. La personne qui se présente aux urgences ne devrait pas avoir à payer immédiatement pour avoir des soins. Toutefois, les soins qu’il recevra ont certainement un coût. Notre système d’assurance balbutie, et l’État ne peut pas faire le financement de la santé; résultat : nos citoyens sont frappés d’insolvabilité. C’est là que réside le vrai défi « qui va payer pour ces soins ? »
V.S : Qui devrait se charger de gérer les urgences médicales en Haïti.
JPL : L’État haïtien a le devoir de prodiguer des soins à TOUS ses citoyens. Il le fait à partir de différentes structures existantes réparties sur tout le territoire. La médecine d’urgence qui est une spécialité est régie par la formation du troisième cycle. La responsabilité de la santé de sa population est l’une des premières obligations d’un État.
V.S : Quelles sont les pistes de solutions
JPL : La première démarche consiste en une conscientisation : que l’État haïtien se souvienne qu’il a la charge de prodiguer des soins à tous ses citoyens, et que chaque citoyen exige des soins de qualité, car c’est un droit fondamental.
Ensuite, des investissements plus raisonnables au vu de la taille de notre population. Une contribution du secteur privé n’est pas à écarter, surtout dans la formation et l’appareillage.
La Formation d’un service ambulancier réel et qualifié dans nos hôpitaux spécialisés en passant par tous les intermédiaires. La formation en médecine d’urgence avec une cohorte d’environ 40 urgentologues par année au cours des 5 prochaines années, et une formation continue et avancée pour ceux qui sont déjà en postes dans nos services d’urgence.
Et comme pour toute bonne œuvre de santé, l’éducation de la population.
Dr Jean-Philippe Lerbourg
Village Santé