Les diverses facettes de la stigmatisation

Village Santé rencontre la psychologue Béatrice Dalencour Turnier.
Village Santé : Existe-t-il différents types de stigmatisation ?
Béatrice D. Turnier : En ce qui concerne la stigmatisation, il y a deux types : 1) celle qui est imposée par la collectivité dans le but d’éloigner, d’exclure la personne ; 2) celle que la personne s’inflige elle-même : l’auto-stigmatisation. Cette dernière génère par exemple chez la personne la honte de sa maladie. Elle excuse le comportement des autres et pense qu’elle mérite de s’éloigner. Du coup, elle ne cherche pas d’aide.
V.S : Peut-on faire de la stigmatisation sans le savoir ?
Béatrice D. Turnier : C’est ce qui arrive tous les jours. Quand on identifie la personne ayant une maladie quelconque par sa maladie, on ne fait autre chose que la stigmatiser. Par exemple, désigner quelqu’un comme un « sidéen », « cancéreux », « handicapé » est une attitude stigmatisante parce qu’elle réduit la personne à la maladie ou à la déficience. La personne est porteuse d’un virus, a une maladie ou souffre d’une déficience, mais elle reste qui elle est : un acteur social ayant un caractère, des compétences et connaissances qu’elle peut mettre au service de la communauté.
V.S : Quels sont les impacts de la stigmatisation ?
Béatrice D. Turnier : Les impacts de la stigmatisation sont nombreux : problèmes psychologiques graves, difficulté à gérer ses émotions, baisse d’estime de soi, un non désir de prendre soin de soi. La personne se cache. Une personne vivant avec le VIH sur quatre n’informe pas son partenaire de son statut parce que n’ayant jamais fait le test, ils ne sont pas au courant qu’ils sont VIH(+). Ce qui entraîne le risque de transmettre la maladie à l’autre.
V.S : Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de stigmatisation et de discrimination?
Béatrice D. Turnier : Des actions qui passent parfois inaperçues ont certaines fois une bonne dose de stigmatisation, particulièrement envers les personnes vivant avec le VIH. Et de la stigmatisation on passe facilement à la discrimination qui, elle, peut aller jusqu’au déni des droits. (Voyez la différence entre termes dans le lexique à la page 7)
Ex: le pasteur qui ne demande plus à Mme untel de lire la bible durant le service, stigmatise.
Le pasteur qui fait une réunion de la chorale pour que tout le monde accepte que Mme untel ne participe plus à la chorale, discrimine. Ou même qui informe que Mme untel ne fera plus partie de la chorale à cause de sa maladie discrimine. En n’acceptant pas que la personne revendique ses droits de participer activement aux activités de l’Eglise, le pasteur nie ses droits.
La stigmatisation et la discrimination prennent pourtant différentes formes en fonction du milieu et des rapports sociaux :
Institutions privées : Exiger un test de sida sous prétexte que cela servira à assurer le futur employé. Pourtant, une fois le test positif, l’emploi n’est pas accordé quelles que soient les qualifications et compétences de l’intéressé. Mise en quarantaine de la personne vivant avec le VIH par ses collègues. Licenciement d’employés testés VIH positifs.
Milieu scolaire et universitaire : Mise à la porte d’un élève ou d’un étudiant pour son statut sérologique.
Communauté : Incendier la maison de la personne vivant avec le VIH. Refuser de lui louer un appartement. Refuser qu’une institution qui travaille avec les PVVIH s’installe dans le quartier.
Soins de santé : Manque d’information au niveau du personnel de santé qui doit soigner le patient. Refuser d’accoucher une femme, refuser des soins dentaires, faire la ligature des trompes sans prévenir le patient donc décider pour lui qu’il n’aura plus d’enfants. Beaucoup d’employés de milieux hospitaliers non-éduqués vivent dans une peur inutile. Certains centres en Haïti créent la peur chez les patients.
A l’église : Alimenter le message que le sida est une punition de Dieu ou la conséquence d’un péché, et que l’on doit absolument guérir pour vivre. Faire croire que le Sida se guérit (parce que certaines religions ou sectes prétendent guérir les patients atteints du sida), ce qui amène le patient à ne pas prendre ses médicaments. Exclure les fidèles sur la base qu’ils sont VIH positifs. Ils ne peuvent plus lire la bible à l’église, ni faire partie de la chorale… parce qu’ils n’en sont plus dignes.
Famille : Blâmer la personne. La femme qui se fait tester pour la transmission mère-enfant, si le test est positif, souffre de discrimination de son propre mari qui lui attribue la faute. Ne pas laisser les enfants nés avec le VIH jouer avec les autres. Avoir une batterie d’ustensiles spécialement pour les VIH positifs de la famille. Les enfants séropositifs dont les parents sont morts sont placés dans des orphelinats au lieu de les garder au sein de la famille, même quand leurs frères et sœurs y vivent. Enfants séropositifs qu’on n’envoie pas à l’école. Obliger les enfants à mettre des habits à manches longues pour limiter le contact de leur peau avec les autres enfants. Ne pas informer son partenaire. Menacer de mort son partenaire s’il est testé séropositif. On a vu des couples où le mari et la femme fréquentent le même centre de santé et ne se disent rien l’un à l’autre.
L’Etat : L’État haïtien n’a encore adopté aucune loi pour prévenir la stigmatisation envers les PPVIH. La proposition de loi sur le VIH/SIDA, élaborée depuis 2013, n’a jamais été votée.
V.S : La presse a-t-elle sa responsabilité dans la lutte contre la stigmatisation ?
Béatrice D. Turnier : La presse pourrait jouer un grand rôle dans la lutte contre la stigmatisation, mais tel n’est pas encore le cas. Certains journalistes voient le SIDA, comme une source d’argent et non comme un problème social à la solution duquel ils doivent apporter leur contribution. Ceux qui s’impliquent sont encore trop peu nombreux. Du coup, la dramatisation du VIH et la désinformation font que des messages importants sont omis ou transmis de façon incomplète. Par exemple : on ne meurt plus du sida, et il y a capacité réduite de transmission avec les médicaments.
V.S : Vos mots de conclusion…
Béatrice D. Turnier : Les gens ont toutes sortes d’attitudes discriminatoires et stigmatisantes pour se protéger, alors qu’au fond, c’est uniquement au moment d’avoir des rapports sexuels qu’il faut se protéger. Exception faite pour le personnel médical et tous ceux qui administrent des soins aux PPVIH qui ont l’obligation de se protéger eux-mêmes et protéger les autres patients contre d’éventuelles infections.
*Béatrice Dalencour Turnier
20 années d’expertise acquise dans le domaine de la psychologie de la santé, dans la réponse au sida, spécifiquement la prise en charge psychosociale collective et individuelle.
Formatrice, consultante et conférencière sur des thèmes qui concernent la prévention du VIH et du sida, la prise en charge psychosociale des personnes vivant avec le VIH et/ou le sida, la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant, sida et les questions de genre, sida et droits humains.
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