Boire socialement, oui, mais jusqu’où ?

Dans ma famille, on aime bien notre petit tafia. Un bon rhum cocktail le dimanche, une vodka frappée bien sirotée, un scotch sur glace, une tequila agrémentée de citron… la liste est longue et belle ! De mon enfance j’ai souvenance qu’à nos fêtes de famille, des éclats de rire sonores de mon père et de mes oncles résonnaient pendant des heures de gaieté. Voici un souvenir particulier qui me fera toujours sourire. Lors d’une fête à la maison, mon père avait offert un verre à un invité. Alors que ce monsieur avait répondu d’un geste catégorique et d’un ton indigné : « Moi ?! Jamais d’alcool ! », mon oncle, le regard espiègle, pour plaisanter, lui avait offert de préférence « un p’tit verre de lait ». Cela avait fait rire les invités et même moi sur le coup. Mais avec le recul, je réalise que ce monsieur a été tout simplement marginalisé et pointé du doigt par une blague bien anodine en apparence mais qui avait une signification très claire. Tu ne bois pas ? Tu n’es pas un homme !
Rassurez-vous, l’idée aujourd’hui n’est pas de pointer du doigt ceux qui aiment bien déguster un verre. C’est juste que l’expression « boire socialement » et toute l’attitude qu’il y a autour a toujours attiré ma curiosité, ayant à mon avis comme effet d’atténuer le fait que « boire c’est boire ». Oui, vous buvez, mais seulement « socialement ». D’accord, vous ne prenez jamais un coup tout seul chez vous en pleurant, mais vous faites peut-être partie de ceux qui, quand ils sortent, consomment de l’alcool et ne savent pas quand s’arrêter…
Quand on pense fête, on pense toute de suite « tafia ». Depuis le début de leur adolescence, nos enfants attendent avec impatience le moment où ils pourront eux aussi offrir de l’alcool à leurs fêtes, preuve qu’ils sont cools ! Allez, ne vous en formalisez pas, vous savez que j’ai raison ! Nous sommes depuis tout petits conditionnés par des ambiances plus que séduisantes où l’alcool a une place de choix. Il y a la musique, les fleurs, les gratinés, gazeuses et desserts, les gens bien habillés que l’on est content de voir. Et dans tout ça, l’alcool, incontournable, indispensable.
Nos célébrations, premières communions, fêtes d’anniversaires, nos réceptions, baptêmes et mariages sont toujours arrosés d’alcool. Un cousin à moi devait épouser une jeune fille dont la religion défendait catégoriquement la consommation d’alcool. Scandalisé à l’idée que la réception du mariage de son fils serait dépourvue de champagne et de scotch, mon oncle désolé se lamentait : « Yon maryaj san chanpay ?! Ak kisa nou pral trenke ? Ak kola ? » Pour lui l’idée était absurde : après tout, même Jésus avait joué le rôle de barman aux noces de Cana ! Le jour de la réception, mon oncle avait finalement fait dresser en sourdine un petit bar pour les « pécheurs » invités. Ironiquement, ce même bar clandestin fut tout de suite fréquenté par les invités « moraux », qui voulaient eux aussi s’amuser, et la fête avait bien réussi.
Certains disent qu’un verre de vin par jour ou qu’un petit coup de whisky de temps en temps n’est pas mauvais pour le coeur. Le fait est discutable, mais ce qui est certain, c’est que (convictions religieuses mises à part) le problème n’est pas l’alcool en soi, surtout quand il est pris avec modération et par une personne responsable. Mais sommes-nous toujours responsables et modérés ?
La fête bat son plein. Dès le premier verre on a tendance à se sentir « relax » (désinhibé).On rit plus facilement : les blagues sont plus comiques, la musique plus engageante, le « fileur » plus attrayant. Au deuxième verre, on se sent libre, invincible ; le timide a soudainement le courage de demander une danse à la jolie fille qu’en temps normal il n’aurait même pas pu regarder dans les yeux ou à qui il n’aurait jamais osé adresser la parole. Les conversations deviennent aisées, la vie est belle. Et hop! un petit troisième, « deux jours à vivre ! »… Et ainsi de suite. Les déboires commencent en général à partir de ce qu’on intitule le « dernier » verre (qui souvent ne l’est pas). On commence à parler un peu trop fort, on s’énerve plus facilement, et vexé, on marmonne un « je ne suis pas saoul » irrité, à tous ceux qui osent nous conseiller de ralentir un peu…
L’alcool agit considérablement sur le cortex frontal (partie frontale du cerveau). Or, celui-ci commande la maîtrise de soi, le comportement en société, le raisonnement. Autrement dit, plus on boit, moins on raisonne. C’est alors que le chauffeur ivre décide qu’il peut quand même conduire, sans pouvoir peser les conséquences qui viennent avec sa décision, comme mettre la vie de sa famille, de ses amis et des passants en danger. C’est alors que la femme en état d’ébriété devient vulnérable aux prédateurs sexuels ; c’est alors qu’on risque de dire ou faire n’importe quoi, sans penser aux répercussions et regrets qui risquent de nous suivre pendant longtemps après… Et c’est cette ligne fine, ce verre de trop, qui fera peut-être un jour basculer notre vie…
Si l’excès en tout nuit, l’excès en alcool « mille et une nuits ». Un dicton un peu bête qui je l’espère vous reviendra en tête au moment voulu. Quelles que soient les raisons pour lesquelles vous en prenez, et que vous soyez un buveur occasionnel ou un « kaka kleren » confirmé, l’alcool met votre vie en danger.
Il faut être responsable, et aussi savoir quand vous arrêter.
Pascale Rivière