J’ai 37 ans. Il y a 10 ans de cela, j’ai appris que j’avais le VIH. Je l’ai appris après la naissance de mon troisième enfant. Durant toute ma grossesse jusqu’à la naissance de l’enfant, le médecin privé qui me suivait ne m’a jamais demandé de me faire dépister pour le VIH. Ma fille, une fois née, ne cessait de tomber malade. Ce n’est qu’à l’Hôpital Nos petits frères et sœurs où je me suis rendue avec elle, que l’une des infirmières m’a demandé de lui faire un test de dépistage du VIH. Le test de l’enfant ayant été positif, on m’a demandé d’en faire un. Et le mien aussi s’était révélé positif.

À l’instant où on me l’a annoncé, je n’avais qu’une envie : me jeter par-dessus le balcon et en finir. Mais l’infirmière qui faisait mon counseling s’y était bien prise pour me remonter le moral. Elle m’a convaincu, avec force arguments, que ce n’était pas fini, que je pouvais continuer à vivre, et qu’il y avait de l’avenir pour ma fille Christelle*, et pour moi. L’état d’esprit, la force et le courage avec lesquels j’ai enduré et combattu tout ce qui est arrivé par la suite sont en rapport avec ce premier counseling.

Ce jour-là, j’étais accompagné de mon mari. Je suis descendu lui annoncer les résultats des tests, celui de l’enfant et le mien. Il m’avait juste répondu : « OK, pas de problème ». Puis, il est parti. J’avais cru qu’il était allé me chercher à la maison de quoi rester à l’hôpital, car le cas de l’enfant étant si grave, il fallait qu’on l’hospitalise, et je devais rester auprès de lui. Mais non. Il est passé à la maison, a pris toutes mes affaires et les a emportées. TOUT. Quand je suis rentrée, j’ai trouvé une maison complètement vidée, comme si j’avais déménagé. Et depuis, je ne l’ai jamais revu. Jamais. Depuis 10 ans et 6 mois.

On a gardé l’enfant à l’hôpital pendant 3 mois et 10 jours. Son état s’étant amélioré, je suis rentrée chez moi avec un enfant souriant et un lourd secret. Élever un enfant atteint du VIH n’a pas du tout été facile, et ne l’est pas jusqu’à maintenant. J’avais peur de la laisser à la garde de personnes qui ne comprenaient pas ce que requiert son traitement. J’avais une « makomè » qui était aussi ma bonne amie. Sitôt que je lui ai expliqué mon infection et celle de l’enfant, son comportement a changé envers nous. Du coup, je redoutais qu’elle en arrive à faire du mal à ma fille si je la laissais seule en sa compagnie. Mon enfant était donc devenue un sujet de stress quotidien pour moi, pas pour sa maladie, car je savais qu’avec le traitement elle ne risquerait rien, mais pour sa sécurité. Maintenant, je stresse moins. Christelle vient d’avoir 11 ans, elle est en pleine forme et travaille bien à l’école. Elle est en 5ème année fondamentale.

Les membres de ma famille ne savent pas que je suis infectée. Ils ne sont pas au courant de l’infection de mon enfant non plus. À l’exception de ma sœur. Infirmière de profession. J’avais cru que sa formation lui permettrait de comprendre. Mais je me suis grandement trompée. Dès qu’elle l’a su, elle nous a mis mon enfant et moi à l’écart. Elle croit toujours que je pourrais l’infecter ou infecter ses enfants ; elle dit souvent du mal des personnes atteintes du VIH et les évite soigneusement. Quand je me rends chez elle, elle me reçoit toujours dans le salon, comme une étrangère. Quant à ma fille, elle ne la traite pas comme mes autres enfants. Pour les vacances, elle invite mes deux grandes filles à venir chez elle, jamais Christelle. Quand elle vient à la maison, elle apporte des cadeaux aux plus grandes, pas à Christelle. Elle m’avait même recommandé de me débarrasser de ma fille, que je l’abandonne à un hôpital ou à un orphelinat, parce qu’elle ne survivrait pas.

J’ai eu peur et je me suis renseignée auprès des médecins de l’hôpital Nos petits frères et sœurs qui m’ont rassuré, me disant que l’enfant vivrait tant que je voudrais qu’elle vive. Je me suis donc accrochée et j’ai pris toutes les dispositions pour empêcher à ma sœur de croiser le chemin de Christelle.

L’expérience avec ma sœur ayant été désagréable, je garde désormais mon secret. Et je vis mieux. Quand on partage ce secret avec les autres, certaines fois ça rend malheureux. J’ai depuis longtemps fait le choix de vivre heureuse. Tous les jours, je prends mes médicaments et je donne les siens à Christelle. Je suis avec précision les instructions et conseils des médecins. Dieu merci elle est aussi une fille responsable. Chaque jour, à l’heure précise où elle doit prendre son médicament, elle vient dans ma chambre et me demande de le lui administrer, sans savoir de quoi elle souffre. Nous nous présentons régulièrement à nos rendez-vous médicaux elle et moi.

Les médecins ont prévu de dévoiler à Christelle sa maladie au courant de cette année. Mais, j’ai demandé à ce qu’on attende un peu. Je trouve qu’elle est encore fragile et innocente. Je ne voudrais pas que cette nouvelle affecte sa santé mentale, son travail à l’école, son petit sourire que j’aime tant. J’ai expliqué au staff médical que moi aussi j’ai mon travail à faire avec Christelle, et le psychologue de l’hôpital fera le reste. Et ils ont compris. Mes filles ainées aussi, qui elles, ne sont pas infectées, doivent savoir pour Christelle et moi. Je crois qu’elles ont le droit de savoir. Je suis actuellement en train de chercher la meilleure approche pour tout leur dévoiler.

À tous ceux et celles qui ont le VIH, je vous envoie mes mots de réconfort. Pourquoi devrions-nous avoir honte de notre maladie si les diabétiques ou les hypertendus ne le sont pas ? Eux aussi doivent prendre leurs médicaments tous les jours, doivent prendre soin d’eux et suivre un traitement pour le restant de leurs jours. Exactement comme nous. Alors, pourquoi est-ce que vous vous donnez tant de mal ? Ne vous laissez pas intimider, stigmatiser et discriminer. Faites-le plus important : prenez vos médicaments, suivez les conseils de votre médecin et respectez vos rendez-vous médicaux. L’alcool et la cigarette sont à bannir à tout jamais. Cherchez aussi la compagnie des personnes qui sauront vraiment vous aider. Dans mon cas, des organisations comme la CARIS FOUNDATION ont joué un rôle important. Un groupe de support est absolument nécessaire pour bien vivre avec le VIH. Avant les médicaments, le plus important pour une personne atteinte de VIH est le counseling. Sans de bons psychologues, médecins et infirmières capables de remonter le moral aux personnes atteintes, elles mourront, non par le virus, mais par la société et son jugement.

Moi, il y a longtemps que j’ai neutralisé les flèches stigmatisantes et discriminatoires des gens de mon entourage, de mon quartier ou de ma congrégation. Ils en arrivent à être étonnés du fait que je me porte très bien, trop bien même. Pourquoi ? Parce que je fais ce que j’ai à faire pour mon enfant et pour moi, et je me soucie peu du reste. Vous le pouvez si vous vous y appliquez. Et vous verrez, vous vivrez mieux.

Propos recueillis par Johnny JEAN

Village Santé

* Certaines informations ont été altérées afin de protéger l’identité des personnes concernées par ce témoignage.