La normalisation de ce qui n’est pas « normal »

De la violence qui envahit nos mentalités et nos communautés
La violence s’intègre de plus en plus dans notre société. Non seulement avec peu de résistance, mais avec de plus en plus de notre complicité et même nos encouragements. Comment ? Pourquoi ?
Notre société fonctionne selon nos valeurs, principes, habitudes et rituels. C’est un environnement où le plus fort l’emporte sur celui qui est perçu comme étant le plus faible. De nos jours, nous vivons dans une société très violente. Nous sommes constamment agressés, au point que quand nous ne nous sentons pas agressés, nous le remarquons ! C’est une journée hors de la « norme ».
Nous sommes agressés par les chauffeurs qui ne respectent pas le code de la route : le véhicule le plus grand ou perçu comme le plus autoritaire, a priorité sur les autres. Nous sommes agressés par les billboards qui marchandisent nos femmes pour vendre des voitures, des meubles, de l’alcool, du tabac ou d’autres produits. Nous sommes agressés par les musiques qui glorifient la violence, la drogue et le sexe, incitant les auditeurs à se comporter de manière irrespectueuse envers leurs compatriotes. Nous sommes agressés par les déchets dans la rue. Nous sommes agressés par les vidéos, les blagues et les messages textes partagés sur les réseaux sociaux qui prônent de plus en plus la violence de tout genre.
Certains de ces messages nous vexent plus que d’autres, mais nous sommes de moins en moins choqués et de plus en plus complaisants. Complaisants parce qu’on ne réagit plus, on fait semblant de ne pas voir, de ne rien entendre, on laisse faire. Puis nous nous laissons séduire, encourageant cette violence en la chantant, en la dansant, en la partageant, et en achetant ces produits.
Comment la mentalité d’une génération se forme-t-elle ? Les enfants apprennent ce qu’ils vivent. Quand les tout petits enfants ne font pas ce que nous souhaitons, en les tapant, on leur apprend à frapper pour obtenir ce qu’ils veulent. Quand ils répètent des mots vulgaires et que l’on rit, on leur apprend que la vulgarité est amusante et qu’elle est une forme de divertissement. Quand on apprend à nos petites filles dès un très jeune âge à modifier leur apparence (maquillage, produits chimiques pour modifier leurs cheveux, lèvres ou autres, etc.), elles apprennent que leur valeur est liée à leur apparence physique. Quand la musique que nos enfants écoutent dénigre la femme, ils apprennent ce vocabulaire en chantant. Quand la télévision envahit nos domiciles d’armes à feu, de gangs, et de meurtre, nos jeunes vont à la rechercher de la « réussite » et du « pouvoir » que ces images leur proposent.
Nos expériences forment nos caractères. Ayant subi ces agressions quotidiennement, notre concept de ce qui est « normal » est décalé. Il y a une mutation de « la norme », et nous modifions nos principes. Cette transition se fait progressivement et avec le temps nous apprenons à accepter l’inacceptable. Nous ne sommes plus choqués par les déchets dans la rue. On rit quand un petit garçon tape sa maman et on le qualifie « d’homme de caractère ». Nous récompensons la vulgarité en chantant et en dansant sa violence dans la rue et aux bals comme divertissement. Nous partageons des vidéos de jeunes violés, qui souffrent aux côtés de leurs agresseurs qui posent pour la caméra. Nous fermons les yeux et la bouche quand un moins qualifié obtient un poste devant un ou une plus qualifié(e) à cause de son sexe ou sa position sociale.
Pour tenter de remédier à cette violence visuelle, sonore, physique et psychologique imposée qui pèse sur notre société, nous devons la reconnaitre, et la qualifier de violence. Puis, pour élever une génération dont l’environnement ne sera pas toxique, nous devons remettre les « normes » en place et revendiquer ce qui est vraiment « normal ». Nous devons être les exemples qui définiront les valeurs de nos enfants, car leurs valeurs formeront leurs communautés. Les enfants apprennent ce qu’ils vivent. Aujourd’hui ils apprennent la violence. À nous de leur apprendre une autre leçon.
Dès le plus jeune âge, entourons nos enfants de tolérance, d’acceptation, d’honnêteté et d’équité. Ils apprendront à respecter leurs concitoyens. Si nous voulons encourager le respect mutuel, nos enfants doivent non seulement être entourés de respect, mais aussi nous voir le revendiquer quand il n’est pas à l’ordre du jour. Car il n’y a pas de violence là où le respect tient place.
Monique Manigat
Psycho-Thérapeute et Responsable de One Billion Rising-Haiti
Village Santé