La mortalité maternelle reste l’un des défis majeurs du système de santé en Haïti. Avec 350 cas de décès maternels pour 100 000 naissances, nous sommes parmi les pays qui enregistrent le plus fort taux de mortalité maternelle de la région Caraïbes et Amérique latine. Les causes de cet état de fait sont multiples. L’hypertension artérielle, la mauvaise alimentation de la femme enceinte, les infections, les hémorragies sévères, les éclampsies, en sont les plus courantes. Pourtant, il y a une cause dont on parle moins, mais qui s’avère être nécessaire tant sa part dans la mortalité maternelle est considérable : l’avortement.

On n’en parle pas parce que la loi l’interdit. En effet, l’article 262 du Code pénal haïtien dispose : « Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, violence, ou par tout autre moyen, aura procuré l’avortement d’une femme enceinte, soit qu’elle y ait consenti ou non, sera puni de la réclusion. » Ainsi, toute personne qui aura provoqué l’avortement d’une femme, et la femme en question (qu’elle ait été consentante ou non) seront punies de la réclusion. Sur la base de cet article, il sévit une peur bleue de parler d’avortement. Cette peur nous empêche de voir les possibles conséquences des cas d’avortements clandestins, encore moins de penser à ces familles dont les jeunes filles sont décédées des suites de complications d’avortements non sécurisés.

La réalité est pourtant bien là, elle est dure à avaler, elle est même atroce, mais elle est là. Selon le rapport de l’Enquête Mortalité, Morbidité et Utilisation des Services (EMMUS V), 33% des cas de mortalité maternelle sont dus à des complications dérivées d’avortements pratiqués dans des conditions non sécurisées. C’est-à-dire que le tiers des femmes décédées en portant une grossesse l’ont été après avoir pratiqué ou subi un avortement. Je dis « femmes » alors qu’en réalité je devrais dire « filles », puisque la grande majorité des cas de décès survenus après un avortement concernent des jeunes filles dont l’âge est compris entre 18 – 25 ans. Comment la société peut-elle rester muette face au sort de ces jeunes filles parties trop tôt ? Comment ne pas penser à leur famille, l’amertume empreinte de culpabilité qui terrasse les cœurs de leurs proches ?

De plus, l’avortement peut être spontané ou provoqué. Autrement dit, une femme peut délibérément choisir de pratiquer un avortement pour toutes sortes de raison, et à ce moment elle le fait clandestinement. Mais elle peut tout autant subir un avortement spontané, sans le vouloir. Et dans un cas comme dans l’autre, il lui faut des soins. Pouvons-nous les lui refuser en brandissant la loi et la laisser mourir ?

Un sage a dit un jour que toutes les conventions sociales doivent tomber quand il s’agit de sauver une vie humaine. Et c’est à juste titre que dans les normes du Ministère de la Santé publique et de la Population l’exigence est faite à toute structure de santé de donner des soins post-abortifs aux femmes qui le nécessitent. En dépit de ces dispositions, il subsiste le jugement de la société sur ces femmes «ki jete pitit », lequel obstrue le chemin vers l’accès aux soins post-abortifs.

Et parallèlement, 33 jeunes filles sur 100 qui sont nos enfants, nos voisines, nos compatriotes perdent la vie chaque année faute d’avoir reçu les soins appropriés. L’avortement ne tue pas. Ce sont ses complications qui tuent. Et on peut empêcher que les complications surviennent. Des institutions offrent ces soins gratuitement. Ne laissons pas nos préjugés et notre intolérance continuer à tuer nos jeunes.