Vous vous rendez au supermarché pour faire les emplettes de la semaine. Avec vous dans la voiture vos trois enfants, un neveu et votre conjoint. Une fois dans le parking, pas de place de disponible. Vous venez de vous rappeler qu’on est dimanche. Une voiture bouge, ça y est, votre chance a tourné. La semaine dernière, vous avez attendu 15 minutes avant de trouver une place.

Quelle chance ! Ouf!   Vous n’avez pas fini de vous garer que votre fille de 4 ans, la curieuse, vous demande : « Maman, c’est quoi la pancarte bleue avec le monsieur assis ? »  Vous avez vu le pictogramme indiquant que c’est une place réservée aux personnes à mobilité réduite, aux handicapés. Mais vous répondez : « Ah, c’est rien, chérie… Desann machin nan vit ! Peyi a pa menm gen plas pou moun nòmal, kounye a pou yo ta vin fè plas pou kokobe. Tchuips ! »

Votre fils aîné de 7 ans rétorque : « Manmie, tu n’as pas le droit.  Si une personne qui ne peut pas se déplacer arrive, où va-t-elle se garer? » Votre conjoint répond : « Jonathan, desann machin nan, tigason ! Alò, polis ki te pake ladan l talè a gen dwa fè l, mwen, m pa gen dwa ? »

Désigner une personne à mobilité réduite comme « kokobe », ignorer les signes pourtant clairs nous demandant de céder le pas ou de laisser la place libre pour ces personnes, ce sont des attitudes courantes chez nous… Et pire, nous les transmettons à nos enfants.  Nous (et par « nous » j’entends tout le monde, forces de l’ordre et leaders d’opinion inclus) ignorons, stigmatisons, abusons, construisons nos maisons et commerces sans penser à les rendre accessibles à tous. Je vous vois déjà poser la question à la mode : « Est-ce que ça dérange ? »

Comme l’a brillamment expliqué le docteur Michel Péan dans son vibrant témoignage que nous vous présentons aujourd’hui, « le handicap renvoie à un ensemble de barrières de tout genre (sociales, culturelles, économiques, idéologiques, politiques) qui empêchent à la personne qui a une déficience de participer aux activités de la vie. Ainsi, on peut avoir une déficience qui implique une incapacité et ne pas être en situation de handicap, tout dépend de l’environnement social dans lequel on évolue ».

Autrement dit, « ce ne sont pas les personnes qui vivent avec des déficiences qui sont handicapées, c’est la société haïtienne qui est en situation de handicap et qui constitue en elle-même un obstacle à la participation des personnes vivant avec des déficiences aux activités de la cité ».

Comment pourrait-on le dire plus clairement que cela ? Donc pour répondre à la question à la mode : oui, ça dérange ! Et beaucoup.

Cynthia Jean-Louis